SUR LA RECEVABILITÉ de la requête N° 26779/95 présentée par Pietrantonio GIANQUITTO contre l'Italie __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme (Première Chambre), siégeant en chambre du conseil le 4 septembre 1996 en présence de Mme J. LIDDY, Présidente MM. M.P. PELLONPÄÄ E. BUSUTTIL A. WEITZEL C.L. ROZAKIS G.B. REFFI B. CONFORTI N. BRATZA I. BÉKÉS G. RESS A. PERENIC C. BÎRSAN K. HERNDL Mme M.F. BUQUICCHIO, Secrétaire de la Chambre Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 17 octobre 1994 par Pietrantonio GIANQUITTO contre l'Italie et enregistrée le 21 mars 1995 sous le N° de dossier 26779/95 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante : EN FAIT Le requérant est un ressortissant italien, né en 1931, résidant à Forli'. Les faits, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit. Le requérant est un ancien carabinier. Depuis 1961, il perçoit une pension d'invalidité ("pensione privilegiata ordinaria", par la suite P.P.O.). Suite à l'entrée en vigueur du Décret du Président de la République n° 601/73, visant à réglementer l'imposition fiscale des revenus des personnes physiques, la pension du requérant fut soumise au prélèvement de l'impôt sur les revenus. Le requérant expose que, par effet du cumul avec d'autres revenus, le taux du prélèvement fiscal global auquel il est assujetti est d'environ 34 %. Le 11 septembre 1979, le requérant introduisit un recours devant la commission fiscale de première instance de Forli' en vue d'obtenir l'exemption fiscale et la restitution des sommes payées à titre d'impôt. Par décision du 10 juin 1986, la commission fiscale de première instance accueillit le recours du requérant, estimant que la pension en cause devait assimilée à une pension de guerre et ne devait donc pas être taxée. Le 14 juillet 1986, le bureau des impôts interjeta appel de cette décision. Par décision du 7 mai 1987, la commission fiscale de deuxième instance confirma la décision de première instance. Par la suite, le bureau des impôts introduisit un recours devant la commission fiscale centrale. Par décision du 21 février 1991, la commission centrale accueillit le recours du bureau des impôts. La commission rappela que la Cour constitutionnelle, dans son arrêt n° 151 du 24 juillet 1981, avait affirmé que les pensions de guerre étaient de nature compensatoire : elles représentaient un geste de solidarité envers les invalides de guerre et de ce fait elles n'étaient pas imposables ; alors que les pensions d'invalidité litigieuses (P.P.O.) étaient versées en raison d'une maladie ou d'un accident du travail et avaient donc la fonction d'intégrer ou remplacer le revenu salarial. De ce fait, la pension en cause devait être considérée comme un revenu et était imposable. Le requérant se pourvut en cassation. Il faisait valoir que sa pension devait être traitée comme les pensions de guerre, à savoir être considérée comme pension compensatoire et non comme substitut d'un revenu salarial ; par conséquent, sa pension ne devait pas être taxée. Par arrêt du 7 mars 1994, déposé au greffe le 14 juillet 1994, la Cour de cassation débouta le requérant de son pourvoi. La Cour estima que la pension litigieuse était imposable en tant que revenu au sens de l'article 46 du décret du Président de la République n° 917 de 1986 (ce décret avait constitué un recueil des lois sur les impôts directes). Par contre, les pensions de guerre, ayant caractère compensatoire, ne pouvaient pas être taxées, au sens de l'article 34 du Décret du Président de la République n° 601 de 1973. GRIEFS 1. Invoquant l'article 1 du Protocole N° 1 à la Convention, le requérant se plaint que sa pension est soumise à un prélèvement d'impôt, qui, par effet du cumul avec d'autres revenus, atteint un taux de 34 % environ. Le requérant se plaint également des décisions rendues par la commission fiscale centrale et par la Cour de cassation, qui seraient dues à une interprétation erronée du droit italien. 2. Le requérant se plaint que le prélèvement d'impôt sur sa pension d'invalidité constitue une atteinte discriminatoire à ses droits, puisque les pensions de guerre et d'autres catégories de pensions d'invalidité ne sont pas taxées. Il allègue la violation de l'article 1 du Protocole N° 1. EN DROIT 1. Le requérant se plaint que sa pension d'invalidité est assujettie à l'impôt sur les revenus. Le requérant se plaint également que les décisions négatives rendues par la commission fiscale centrale et par la Cour de cassation sont dues à une interprétation erronée du droit italien. Il allègue la violation de l'article 1 du Protocole N° 1 (P1-1), qui dispose : "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes." La Commission relève d'emblée qu'elle n'est pas compétente pour examiner une requête relative à des erreurs de droit ou de fait prétendument commises par les juridictions internes, sauf et si dans la mesure où elles sont susceptibles d'avoir entraîné une violation d'un droit garanti par la Convention. La Commission renvoie sur ce point à sa jurisprudence constante (cf. N° 7987/77, déc. 13.12.79, D.R. 18 pp. 31, 61). Dans la mesure où les décisions litigieuses concernent le droit au respect des biens du requérant, la Commission rappelle d'abord que l'imposition fiscale constitue en principe une ingérence dans le droit garanti par le premier alinéa de l'article 1 du Protocole N° 1 (P1-1) cette ingérence se justifie, conformément au deuxième alinéa de cet article, qui prévoit expressément une exception pour ce qui est du paiement des impôts ou d'autres contributions (cf. N° 11089/84, déc. 11.11.86, D.R. 49, p. 181). La Commission rappelle qu'il appartient en premier lieu aux autorités nationales de décider du type d'impôts ou de contributions qu'il convient de lever. Les décisions en ce domaine impliquent normalement, en outre, une appréciation de problèmes politiques, économiques et sociaux que la Convention laisse à la compétence des Etats parties, car les autorités internes sont manifestement mieux placées que la Commission pour apprécier ces problèmes (cf. N° 11089/84, déc. précitée p. 202 ; N° 15117/89, déc. 16.1.95, D.R 80-A p. 5). Toutefois, une telle mesure n'échappe pas pour autant à tout contrôle de la Commission, puisque les organes de la Convention doivent vérifier si l'article 1 du Protocole N° 1 (P1-1) a fait l'objet d'une application correcte. A cet égard, la Commission rappelle que "le second alinéa de l'article 1 du Protocole N° 1 (P1-1) doit se lire à la lumière du principe consacré par la première phrase de l'article". Il s'ensuit qu'une mesure d'ingérence doit ménager un "juste équilibre" entre les "exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu... Le souci d'assurer un tel équilibre se reflète dans la structure de l'article 1 (art. 1) entier..., donc aussi dans le second alinéa. Il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé" (voir Cour eur. D.H., arrêt Tre Traktören AB c. Suède du 7 juillet 1989, série A n° 159, p. 23, par. 59). Par conséquent, "l'obligation financière née du prélèvement d'impôts ou de contributions peut léser la garantie consacrée par cette disposition si elle impose à la personne ou à l'entité en cause une charge excessive ou porte fondamentalement atteinte à leur situation financière (cf. N° 13013/87, déc. 14.12.88, D.R. 58 p. 214). Or, la Commission observe que l'ingérence litigieuse résulte en fait de l'exercice par le fisc des pouvoirs que lui reconnaissent le décret n° 601/73 ainsi que le décret n° 917 de 1986. Ces textes visent à réglementer la collecte des impôts directes en Italie. Il est vrai que l'imposition fiscale à laquelle la pension perçue par le requérant est assujettie constitue une charge importante qui pèse sur ce dernier. Cependant la Commission estime que le prélèvement en question n'a pas porté atteinte aux biens du requérant de manière disproportionnée ou abusive au point d'engendrer la violation de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1). La Commission estime dès lors que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 27 par. 2 (Art. 27-2) de la Convention. 2. Dans la mesure où le requérant soutient que le prélèvement d'impôt sur sa pension d'invalidité constitue une atteinte discriminatoire à ses droits puisque les pensions de guerre et d'autres catégories de pensions d'invalidité ne sont pas taxées, la Commission estime que ce grief doit être examiné sous l'angle de l'article 1 du Protocole N° 1 combiné avec l'article 14 (P1-1+14) de la Convention. L'article 14 (art. 14) de la Convention dispose que la jouissance des droits et libertés garantis par la Convention doit être assurée, sans distinction aucune. La Commission rappelle qu'aux termes de l'article 26 (art. 26) de la Convention, la Commission ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus. La Commission note que, devant les juridictions nationales, le requérant a basé ses recours sur la différence de traitement fiscal de sa pension par rapport aux pensions de guerre uniquement. S'agissant de l'atteinte discriminatoire alléguée par rapport à d'autres catégories de pensions, la Commission estime par conséquent que le requérant n'a pas satisfait à la condition de l'épuisement des voies de recours internes conformément à l'article 26 (art. 26) de la Convention et cette partie du grief doit être rejetée en application de l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention. S'agissant de l'atteinte discriminatoire alléguée par rapport aux pensions de guerre, la Commission constate que toute distinction ne constitue pas une discrimination ; en particulier, il ne suffit pas qu'un requérant se plaigne simplement d'avoir été affecté, plutôt que des autres, mais il doit montrer que la charge considérée aboutit à une distinction entre lui et d'autres sur une base discriminatoire. De plus, comme il a été indiqué, dans le domaine des politiques sociales, économiques ou autres, il incombe aux autorités nationales de procéder à l'évaluation initiale des buts poursuivis et des moyens employés à cet effet. Leur marge d'appréciation doit être plus large dans ces domaines que dans de nombreux d'autres (N° 12947/87, déc. 12.7.89, D.R. 62 pp. 226, 245). En l'espèce, la Commission note que la commission fiscale centrale et la Cour de cassation ont clairement indiqué que les pensions de guerre représentent un geste de solidarité envers les invalides de guerre et de ce fait elles ne sont pas imposables ; alors que les pensions d'invalidité litigieuses (P.P.O.) sont versées en raison d'une maladie ou d'un accident du travail et ont donc la fonction d'intégrer ou remplacer le revenu salarial. Eu égard aux considérations générales qui précèdent, la Commission conclut que la mesure considérée n'excède pas la marge d'appréciation accordée aux autorités nationales, que la différence de traitement alléguée par le requérant en l'occurrence trouve une justification objective et raisonnable dans le but poursuivi par l'Etat, et que le critère de proportionnalité est respecté. Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. M.F. BUQUICCHIO J. LIDDY Secrétaire Présidente de la Première Chambre de la Première Chambre