SUR LA RECEVABILITE de la requête N° 28713/95 de la requête N° 28714/95 présentée par José JUHEL présentée par Vladimir CECERSKI contre la France contre la France de la requête N° 28715/95 de la requête N° 28716/95 présentée par Philippe ALLARD présentée par Jacques MOSCOVIZ contre la France contre la France de la requête N° 28717/95 de la requête N° 28718/95 présentée par Bruno THIEBLIN présentée par Yves JUIN contre la France contre la France de la requête N° 28719/95 de la requête N° 28720/95 présentée par Pierre MAURICE présentée par Claude FOURCADE contre la France contre la France de la requête N° 30020/96 introduite par Robert HUTTMAN contre la France La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 12 avril 1996 en présence de M. H. DANELIUS, Président Mme G.H. THUNE MM. G. JÖRUNDSSON J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS F. MARTINEZ L. LOUCAIDES J.-C. GEUS M.A. NOWICKI I. CABRAL BARRETO J. MUCHA D. SVÁBY P. LORENZEN Mme M.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 7 janvier 1993 par José JUHEL contre la France et enregistrée le 27 septembre 1995 sous le N° de dossier 28713/95 ; Vu la requête introduite le 7 janvier 1993 par Vladimir CECERSKI contre la France et enregistrée le 27 septembre 1995 sous le N° de dossier 28714/95 ; Vu la requête introduite le 7 janvier 1993 par Philippe ALLARD contre la France et enregistrée le 27 septembre 1995 sous le N° de dossier 28715/95 ; Vu la requête introduite le 7 janvier 1993 par Jacques MOSCOVIZ contre la France et enregistrée le 27 septembre 1995 sous le N° de dossier 28716/95 ; Vu la requête introduite le 7 janvier 1993 par Bruno THIEBLIN contre la France et enregistrée le 27 septembre 1995 sous le N° de dossier 28717/95 ; Vu la requête introduite le 7 janvier 1993 par Yves JUIN contre la France et enregistrée le 27 septembre 1995 sous le N° de dossier 28718/95 ; Vu la requête introduite le 7 janvier 1993 par Pierre MAURICE contre la France et enregistrée le 27 septembre 1995 sous le N° de dossier 28719/95 ; Vu la requête introduite le 7 janvier 1993 par Claude FOURCADE contre la France et enregistrée le 27 septembre 1995 sous le N° de dossier 28720/95 ; Vu la requête introduite le 6 janvier 1993 par Robert HUTTMAN contre la France et enregistrée le 31 janvier 1996 sous le N° de dossier 30020/96 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante : EN FAIT Les neuf requérants, de nationalité française, sont docteurs en médecine et exercent leur profession en région d'Ile-de-France. Les renseignements les concernant figurent à l'Annexe 1 ci-après. Dans la procédure devant la Commission, ils sont tous représentés par Maître Michèle Vally, avocate au barreau de Paris. A. Circonstances particulières de l'affaire Les faits, tels qu'ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit. Les requérants sont tous membres de l'association "S.O.S. Médecins", qui assure des consultations d'urgence sur appel des patients. Cette association, présente dans tous les départements, se trouve en concurrence directe avec des services d'urgence organisés, soit par des syndicats de médecins, soit par les conseils départementaux de l'Ordre de médecins. En conséquence, estimant que S.O.S. Médecins se rendait coupable de concurrence déloyale et ne respectait pas le Code de déontologie, plusieurs syndicats de médecins et conseils départementaux saisirent les instances ordinales de plaintes contre les adhérents de l'association. C'est ainsi notamment que, par lettre du 15 décembre 1986, le Dr M. G., ès qualité de secrétaire général du conseil départemental du Rhône, informait le président de l'association S.O.S. Lyon Médecins que le conseil départemental avait décidé, dans sa séance du 5 décembre 1986, de porter plainte contre lui pour infraction à l'article 23 du Code de déontologie. Le 2 mars 1989, le Syndicat national des médecins de permanence de soins, représenté par les docteurs B. et D., déposa une plainte à l'encontre des neuf requérants auprès du conseil régional de l'Ordre des médecins d'Ile-de-France. Le 20 mars 1989, la Fédération française des médecins généralistes de Paris, représentée par le docteur A., déposa une plainte contre les requérants devant la même instance. Ces plaintes leur reprochaient d'avoir enfreint le Code de déontologie médicale, notamment en matière de publicité (article 23), en faisant figurer la mention "S.O.S. Médecins" sur leurs véhicules ou sur leurs ordonnances. Le 28 janvier 1990, ces plaintes furent examinées à huis clos par le conseil régional de l'Ordre des médecins, lequel prononça des peines d'interdiction temporaire d'exercer la médecine. Les premier, quatrième et septième requérants se virent infliger deux mois de suspension d'exercice. Le premier requérant, qui avait fait l'objet de deux autres plaintes, se vit infliger deux mois supplémentaires de suspension. Les six autres requérants furent condamnés à un mois de suspension. Les requérants interjetèrent appel de ces décisions devant la section disciplinaire du conseil national de l'Ordre des médecins. L'audience se déroula à huis clos. Le 25 mars 1992, la section disciplinaire du conseil national, où siégeait notamment le docteur M. G., rendit une décision notifiée aux requérants le 7 juillet 1992. Le conseil national réduisit les sanctions prononcées : ceux des requérants qui s'étaient vu infliger une suspension d'exercice de deux mois furent condamnés à quinze jours de suspension, les autres à huit jours de suspension. Les deux mois supplémentaires de suspension infligés au premier requérant furent annulés. Les requérants ne formèrent pas de pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat. Parallèlement à la saisine des instances ordinales, les adhérents de l'un des syndicats plaignants introduisirent devant le tribunal de grande instance de Paris une action en dommages et intérêts dirigée contre les membres de l'association "S.O.S. Médecins", dont les requérants. Par jugement du 12 juin 1991, le tribunal sursit à statuer dans l'attente de la décision du conseil national de l'Ordre. Après les décisions du 25 mars 1992, les plaignants demandèrent au tribunal de condamner les requérants à leur verser des dommages et intérêts sur le fondement des fautes disciplinaires relevées à leur encontre par le conseil national. Le 9 mars 1994, le tribunal leur donna gain de cause en considérant que : "la violation (...) du Code de déontologie stigmatisée par la section disciplinaire du conseil de l'Ordre (est) à l'origine d'une tentative de détournement de clientèle constitutif d'une faute au sens de l'article 1382 du Code civil." Le tribunal condamna en conséquence in solidum les requérants à verser 50 000 F de dommages et intérêts aux demandeurs. B. Eléments de droit interne a) Textes Code de la Santé publique Article L. 417 "Le conseil régional exerce, au sein de l'Ordre des médecins, la compétence disciplinaire en première instance (...)." Article L. 411 "La section disciplinaire du conseil national est saisie des appels des décisions des conseils régionaux en matière de discipline (...) Les décisions rendues par la section disciplinaire du conseil national ne sont susceptibles de recours que devant le Conseil d'Etat dans les conditions de droit commun." Article L 423 "Les peines disciplinaires que le conseil régional peut appliquer sont les suivantes : L'avertissement. Le blâme. (...) L'interdiction temporaire d'exercer la médecine, cette interdiction ne pouvant excéder trois années. La radiation du tableau de l'Ordre. Les deux premières de ces peines comportent, en outre, la privation du droit de faire partie du conseil départemental, du conseil régional ou du conseil national de l'Ordre pendant une durée de trois ans ; les suivantes, la privation de ce droit à titre définitif. (...)" Articles 15 et 26 du décret du 26 octobre 1948 concernant la procédure devant les conseils régionaux et le conseil national (en vigueur au moment des faits) : "L'audience n'est pas publique et la délibération demeure secrète." Le décret n° 93-181 du 5 février 1993 relatif au fonctionnement des conseils de l'Ordre des médecins a modifié les dispositions citées ci- dessus : "Lorsque la section se prononce en matière disciplinaire (...), l'audience est publique. Toutefois, le président peut d'office, à la demande d'une partie ou de la personne dont la plainte a provoqué la saisine du conseil, interdire au public l'accès de la salle pendant tout ou partie de l'audience dans l'intérêt de l'ordre public ou lorsque le respect de la vie privée ou du secret médical le justifie." Code de déontologie (en vigueur au moment des faits) Article 23 "La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. Tous les procédés directs ou indirects de réclame et de publicité sont interdits aux médecins. Sont également interdites les manifestations spectaculaires touchant à la médecine et n'ayant pas exclusivement un but scientifique ou éducatif." b) Jurisprudence - Publicité des débats Selon une jurisprudence constante, le Conseil d'Etat considère que l'article 6 de la Convention est inapplicable aux juridictions disciplinaires, "qui ne statuent pas en matière pénale et ne tranchent pas des contestations sur des droits et obligations de caractère civil" (cf. notamment décision du 29 octobre 1990 citée in Cour eur. D.H., Diennet c/France, arrêt du 26 septembre 1995, à paraître dans la série A sous le N° 325-A, par. 13). Avant la modification introduite par le décret du 5 février 1993, le Conseil d'Etat rejetait tout moyen de cassation fondé sur le caractère non public des débats devant le conseil national de l'Ordre. Cette jurisprudence était suivie par la section disciplinaire du conseil de l'Ordre. GRIEFS 1. Les requérants estiment n'avoir pas bénéficié d'un procès équitable tel que garanti par l'article 6 par. 1 de la Convention, en ce que leurs causes n'auraient pas été entendues publiquement. 2. Ils contestent, en invoquant la même disposition, la partialité des membres des conseils régional et national de l'Ordre des médecins. Ils soutiennent que lesdits membres entretenaient des "liens personnels, professionnels et syndicaux avec les plaignants". 3. Ils estiment que la présomption d'innocence, garantie par l'article 6 par. 2 de la Convention, n'a pas été respectée en l'espèce. 4. Ils allèguent enfin la violation de l'article 13 de la Convention. EN DROIT 1. La Commission considère qu'il y a lieu, en application de l'article 35 du Règlement intérieur, de joindre les neuf requêtes enregistrées respectivement sous les numéros 28713 à 28720/95 et 30020/96 , dans la mesure où elles portent sur les mêmes faits et griefs. 2. Les requérants se plaignent de ce que leur cause n'a pas été entendue équitablement et publiquement par un tribunal impartial, au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, qui dispose que : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès à la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice." La Commission considère qu'en l'état actuel du dossier, elle n'est pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et estime nécessaire de porter cette partie de la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur, en application de l'article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur. 3. Les requérants allèguent la violation de l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention, qui est ainsi rédigé : "Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie." La Commission rappelle que la présomption d'innocence ne se limite pas à une garantie procédurale au sein du seul procès pénal, mais que l'article 6 par. 2 (art. 6-2) exige en outre qu'aucun représentant de l'Etat ne présente une personne comme coupable d'une infraction, tant que la culpabilité de cette personne ne se trouve pas définitivement établie par la juridiction compétente (cf. en dernier lieu Cour eur. D.H., arrêt Allenet de Ribemont c/France du 10 février 1995, série A n° 308, par. 35). En l'espèce, la Commission constate que les requérants n'étaient pas "accusés d'une infraction", au sens de l'article 6 par. 2 (art. 6-2) précité, et qu'ils n'ont à aucun moment fait l'objet de poursuites sur le plan pénal. Le fait qu'ils se soient vu infliger, sur le fondement du Code de déontologie, des sanctions disciplinaires n'est pas de nature à infirmer cette conclusion (cf. notamment Nos 21257/93 à 21260/93, déc. 27.11.95, non publiée). Dès lors, la Commission considère que cette disposition n'est pas applicable en l'espèce. Il s'ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. 4. Les requérants estiment enfin que l'article 13 (art. 13) de la Convention a été enfreint. Cet article (art. 13) dispose que : "Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles." La Commission rappelle sa jurisprudence selon laquelle, en matière de droits de caractère civil, les garanties de l'article 13 (art. 13) s'effacent devant celles, plus strictes, de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention (cf. notamment No 9276/81, déc. 17.11.83, D.R. 35, p. 13 ; No 10496/83, déc. 15.12.83, D.R. 38, p. 189 ; No 13021/87, déc. 8.9.88, D.R. 57, p. 268). Il en résulte que ce grief est manifestement mal fondé, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, ORDONNE la jonction des requêtes Nos. 28713 à 28720/95 et 30020/96, AJOURNE l'examen des griefs des requérants concernant le défaut d'impartialité ainsi que l'absence de publicité des débats devant le conseil national de l'Ordre des médecins, DECLARE IRRECEVABLE le surplus des requêtes. Le Secrétaire de la Le Président de la Deuxième Chambre Deuxième Chambre (M.-T. SCHOEPFER) (H. DANELIUS) ANNEXE 1 1. Requête n° 28713/95 Monsieur José JUHEL, né le 19 mai 1952 à Saint Malo (35), de nationalité française, demeurant à Paris (06). 2. Requête n° 28714/95 Monsieur Vladimir CECERSKI, né le 31 octobre 1943 à Magni Pagola (ex-URSS), de nationalité française, demeurant à Paris (05). 3. Requête n° 28715/95 Monsieur Philippe ALLARD, né le 23 juillet 1939 à Suresnes (92), de nationalité française, demeurant à Paris (14). 4. Requête n° 28716/95 Monsieur Jacques MOSCOVIZ, né le 6 janvier 1953 à Paris (75), de nationalité française, demeurant à Saint Maur (94). 5. Requête n° 28717/95 Monsieur Bruno THIEBLIN, né le 30 juin 1944 à Boulogne (92), de nationalité française, demeurant à Ville d'Avray (92). 6. Requête n° 28718/95 Monsieur Yves JUIN, né le 19 août 1941 à Paris (75), de nationalité française, demeurant à Paris (05). 7. Requête n° 28719/95 Monsieur Pierre MAURICE, né le 21 septembre 1951 à Neuilly sur Seine (92), de nationalité française, demeurant à Paris (14). 8. Requête n° 28720/95 Monsieur Claude FOURCADE, né le 4 avril 1945 à Dax (40), de nationalité française, demeurant à Paris (14). 9. Requête n° 30020/96 Monsieur Robert HUTTMAN, né le 25 mars 1937 à Bucarest, de nationalité française, demeurant à Paris (11).